Une loi d’expropriation des terres signée en Afrique du Sud

Le président Cyril Ramaphosa a signé une loi controversée d’expropriation des terres. Elle pourrait menacer la stabilité politique et économique de l’Afrique du Sud. Les Afrikaners sont particulièrement visés par cette loi. L’article Une loi d’expropriation des terres signée en Afrique du Sud est apparu en premier sur Causeur.

Fév 6, 2025 - 19:06
 0
Une loi d’expropriation des terres signée en Afrique du Sud

Le président Cyril Ramaphosa a signé une loi controversée d’expropriation des terres. Elle pourrait menacer la stabilité politique et économique de l’Afrique du Sud. Les Afrikaners sont particulièrement visés.


Le 23 janvier 2025, le président Cyril Ramaphosa, a décidé de promulguer une loi de réforme l’expropriation des terres, prenant le risque de diviser un peu plus l’Afrique du Sud et faire basculer le pays dans l’inéluctable. Des changements majeurs présentés comme un outil de justice sociale, qui ambitionne de corriger les inégalités historiques liées à la répartition des terres dans le pays.

Un sujet qui divise l’Afrique du Sud

Pour comprendre l’importance de cette loi, il est essentiel de revenir sur l’histoire de la redistribution des terres en Afrique du Sud. Sous le régime de l’apartheid (1948-1994), des lois comme le Natives Land Act de 1913 et le Group Areas Act ont systématiquement exclu la majorité noire de l’accès à la propriété foncière. Ces textes réservaient 87 % des terres arables aux Sud-Africains blancs, reléguant les communautés noires dans des zones désignées, souvent infertiles et peu propices à l’agriculture. Ce système a engendré des disparités économiques et sociales qui persistent encore aujourd’hui.

Depuis la fin de la ségrégation raciale en 1994, l’Afrique du Sud s’est engagée dans des réformes agraires pour rectifier ces injustices. Un projet devenu le fer de lance de l’extrême-gauche qui a régulièrement mis la pression sur les gouvernements successifs afin qu’une loi soit votée et les terres redistribuées à la majorité noire sans la moindre compensation aux fermiers. Mené par Julius Malema, ce dernier a plus d’une fois appelé ses militants du mouvement des Combattants pour la liberté économique (EFF) à s’emparer de ces terres avant que la justice ne lui intime l’ordre de cesser ses menaces mettant à mal la paix sociale en Afrique du Sud.

Un projet qui cristallise également la minorité afrikaner. Les descendants des boers s’inquiètent des conséquences d’une telle expropriation. Ils pointent du doigt le désastreux précèdent au Zimbabwe lorsque au début des années 2000, le président Robert Mugabe a décidé de mettre en place une loi similaire, ruinant rapidement le grenier à blé de l’Afrique australe, accentuant la crise économique à des fins politiques. Aujourd’hui, c’est à peine 10% des terres arables qui ont été redistribuées aux noirs sud-africains.

Les contours de la loi : une réforme nécessaire ou un danger pour la démocratie ?

La loi, qui remplace le texte initial de 1975, élargit la notion d’intérêt public pour inclure la réforme agraire et l’accès équitable aux ressources naturelles. Conformément à l’article 25 de la Constitution, elle vise à fournir une compensation « juste et équitable » dans la plupart des cas. Cependant, certaines exceptions sont prévues, notamment pour les terres abandonnées ou inutilisées. Loin de rassurer les syndicats agricoles.

Le Congrès national africain (ANC), balaye toutes les contestations, salue une avancée « progressiste et transformatrice » pour la nation. Le parti de feu Nelson Mandela considère même cette réforme comme un levier pour promouvoir une croissance économique inclusive et répondre aux aspirations des millions de Sud-Africains historiquement exclus de la propriété foncière. Cette vision s’inscrit dans la continuité de la Charte de la liberté, adoptée par l’ANC en 1955, qui proclamait : « La terre sera partagée entre ceux qui la travaillent. ». Sans se poser réellement la question de savoir s’il existe une main d’œuvre qualifiée pour exploiter ces terres.

Autre point qui pourrait également exacerber des tensions ethniques, celui de l’Ingonyama Trust. Créée peu de temps avant les premières élections multiraciales, résultant d’un deal secret conclu entre le Parti National (NP), à l’origine de l’apartheid, et l’Inkhata Freedom Party (IFP), le mouvement représentant les intérêts de la nation zoulou, cette fondation a réuni sous son parapluie presque 30% des terres de la province du Kwazoulou afin de les protéger d’un tel projet. Un trust qui génère des millions d’euros et qui reste entre les mains exclusives du puissant monarque de la nation zoulou. Depuis peu dans la tourmente et devenu un enjeu de querelle politique entre l’ANC et l’IFP, le roi Misuzulu Sinqobile kaZwelithini, refuse de céder la moindre parcelle des terres de son trust. Tout comme son père avant lui, il s’est récemment rapproché de l’extrême-droite afrikaner,

Critiques et contestations

La loi ne fait d’ailleurs pas l’unanimité. Certains critiques dénoncent une procédure législative « antidémocratique », soulignant qu’elle a été adoptée par un parlement précédent, avant la mise en place du gouvernement d’unité nationale actuel. La DA (Alliance démocratique), principal parti d’opposition, qui détient des postes clefs ministériels, ainsi que des organisations comme AfriForum, puissant syndicat d’extrême-droite afrikaner, ont annoncé leur intention de contester cette loi devant les tribunaux. Le très afrikaner Freedom Front, membre de la coalition gouvernementale, a déclaré que cette loi était purement « anticonstitutionnelle ».

Les opposants au projet craignent que cette réforme n’intimide les investisseurs étrangers et n’affaiblisse davantage une économie déjà fragilisée par des années de stagnation et la crise du covid. D’autres redoutent des abus dans l’application de la loi, notamment en l’absence de garde-fous suffisants contre des expropriations arbitraires, voir une recrudescence des meurtres de fermiers. Un autre sujet qui fait l’objet d’une violente guerre de chiffres en Afrique du Sud. Particulièrement visés par des attaques, depuis une décennie, plus de 4000 d’entre eux ont été sauvagement assassinés, faisant craindre la résurgence de tensions raciales entre blancs et noirs. Pour AfriForum qui avait attiré l’attention du Président américain Donald Trump lors de son premier mandat, il s’agit d’un « génocide planifié » avec la complicité des militants de l’EFF dont le leader est souvent pointé du doigt comme responsable par les Afrikaners. Une population blanche tentée par le séparatisme et qui se sent de plus en plus ostracisée comme attaquée sur ses fondements (comme avec la loi controversée qui réduit l’enseignement de la langue afrikaans dans les écoles).

Contre toute attente, même l’EFF a critiqué ce projet, estimant qu’il était faible au regard des enjeux, craignant que seule les terres à faible rendement et valeur soient uniquement redistribuées aux noirs sud-africains.

La signature de cette loi marque indubitablement un tournant dans le débat sur la réforme agraire en Afrique du Sud. Le chemin de la redistribution équitable des terres reste cependant semé d’embûches, mais cette initiative pourrait, si elle est appliquée avec prudence et transparence, ouvrir la voie, soit à un avenir plus inclusif pour tous les Sud-Africains, soit mener à terme le pays au bord de la guerre civile, de la sécession.

L’article Une loi d’expropriation des terres signée en Afrique du Sud est apparu en premier sur Causeur.