La médecine basée sur les preuves : un rempart contre le charlatanisme
La médecine basée sur les preuves permet de mieux évaluer l’efficacité des traitements médicaux. Mais elle n’est pas encore suffisamment prise en compte, comme en témoigne le succès de l’homéopathie.
La médecine basée sur les preuves a permis de mieux évaluer l’efficacité des traitements médicaux, en recourant à des outils permettant de limiter les biais. Mais ses conclusions ne sont pas encore suffisamment prises en compte par le public, ni par certains professionnels de santé..
L’article 39 du code de déontologie médicale français stipule que « Les médecins ne peuvent proposer aux malades ou à leur entourage comme salutaire ou sans danger un remède ou un procédé illusoire ou insuffisamment éprouvé. Toute pratique de charlatanisme est interdite. »
Le charlatanisme est donc la promotion de pratiques médicales frauduleuses ou insuffisamment éprouvées en les présentant comme salutaires ou sans danger. Indépendamment de l’escroquerie financière qu’elle représente, la prescription d’un traitement inefficace peut amener un patient à refuser, à suspendre ou à retarder un traitement qui pourrait le guérir. Cela peut avoir des conséquences dramatiques en cas de maladies graves requérant un traitement démontré efficace comme les cancers du sein ou les infections.
Mais comment déterminer l’efficacité d’un traitement ? La médecine basée sur les preuves (Evidence based medicine en anglais, ou EBM) a amélioré notre capacité à évaluer objectivement l’efficacité d’un traitement médical et à identifier des pratiques qui peuvent relever du charlatanisme, ce qui a notamment bouleversé la perception des médecines alternatives comme l’homéopathie. Cependant, la mise en place de cette approche fait encore parfois face à des résistances.
Les essais randomisés contrôlés, fondements de l’EBM
L’efficacité d’un traitement médical a longtemps été évaluée sur base de l’avis de médecins considérés comme experts et de témoignages de patients. Or, l’expérience du médecin est limitée et son avis, tout comme le témoignage des patients, peut être biaisé.
Le développement d’une régulation plus contraignante des médicaments a entraîné dans les années 1990 l’avènement de la médecine basée sur les preuves. Celle-ci a systématisé le recours à des essais cliniques randomisés (aléatoires) et contrôlés pour évaluer l’efficacité des traitements médicaux.
Lors de ces essais, les patients sont répartis de manière aléatoire en deux groupes : l’un reçoit le traitement et l’autre reçoit le placebo, un traitement considéré comme dépourvu d’efficacité. Afin de réduire les biais, ni le patient ni le médecin prescripteur ne sont, au départ, au courant de la nature de la substance prescrite.
Selon les critères de l’EBM, un traitement médical ne peut être considéré comme efficace que s’il procure de manière mesurable au patient plus de bénéfices que le placebo.
Le mesmérisme, déjà démasqué au XVIIIe siècle par un essai contrôlé
Évaluer l’efficacité d’un traitement médical en le confrontant à un placebo est une approche qui n’est pas nouvelle. En 1784, le roi de France Louis XVI nomma deux commissions pour enquêter sur l’efficacité des thérapies proposées par le charismatique médecin Franz Anton Mesmer, citoyen du Saint Empire romain germanique.
Ce dernier prétendait avoir découvert une force invisible, le « magnétisme animal » (aussi appelé mesmérisme), qui traversait chaque être vivant et était la cause et le remède de toutes les maladies physiques. Mesmer fit fortune en dirigeant plusieurs cliniques et en participant à des soirées mondaines où il exhibait ses pouvoirs de guérison.
L’un de ses remèdes les plus populaires était une eau rendue prétendument magnétique suite à son exposition à des aimants. S’y immerger ou en consommer était censée guérir toutes les affections et entraîner des convulsions.
Plusieurs expériences furent réalisées par les commissions royales. De l’eau normale et de l’eau magnétisée furent proposées à plusieurs patients, sans que ceux-ci ne sachent si l’eau était ou non magnétisée. Les réactions furent notées et l’on constata que l’eau normale, présentée comme magnétisée, induisait aussi fréquemment des convulsions que l’eau dite magnétisée. Ces expériences sont considérées comme les premiers essais cliniques avec placebo.
Elles démontrèrent que le magnétisme animal n’était pas réel et que ses effets apparents étaient dus à l’imagination des patients et à leur croyance dans les pouvoirs de Mesmer.
Le rapport des commissions conclut par cette phrase restée célèbre que : « (…) L’imagination sans magnétisme produit les convulsions et (…) le magnétisme sans imagination ne produit rien. »
À la même époque, un autre médecin du Saint Empire romain germanique popularisait une approche qui allait, beaucoup plus tard, se trouver elle aussi confrontée aux principes de la médecine basée sur les preuves : l’homéopathie.
Gloire et déclin de l’homéopathie
Les principes de la médecine homéopathique furent théorisés par le médecin Samuel Hahnemann à partir de 1796. Ceux-ci postulent que le semblable guérit le semblable (principe de similitude) et que plus une substance est diluée sous agitation et plus son effet thérapeutique est puissant (principe de dynamisation).
À une époque où la médecine se réduisait aux saignées, aux sudations et aux lavements, les médications homéopathiques furent favorablement accueillies par les patients. De nombreux hôpitaux homéopathiques virent le jour durant le XIXe siècle en Europe et en Amérique, comme l’hôpital Hahnemann de Paris créé en 1870 et le hôpital universitaire Hahnemann de Philadelphie en 1885.
Durant le XXe siècle, il devint cependant évident que les principes de l’homéopathie étaient incompatibles avec les connaissances scientifiques. Aujourd’hui « l’opinion presque unanime de la communauté scientifique est que les hypothèses de base sur lesquelles repose l’homéopathie sont soit réfutées, soit invraisemblables. ». En effet, le principe de similitude ne repose sur aucune preuve scientifique et les dilutions extrêmes pratiquées en homéopathie excluent la présence de composés pharmacologiquement actifs.
Les tentatives d’explications, comme la théorie de la mémoire de l’eau du médecin Jacques Benveniste, furent toutes invalidées. Mais surtout, dès 2002 la valeur thérapeutique de l’homéopathie fut jugée comme équivalente à un placebo selon les critères de la médecine basée sur les preuves.
Cette évaluation a ensuite été confirmée en 2015 par le Conseil national australien de la santé et de la recherche médicale, qui a conclu que : « les personnes qui choisissent l’homéopathie peuvent mettre leur santé en danger si elles rejettent ou retardent des traitements pour lesquels il existe de bonnes preuves ». Le Conseil scientifique des académies des sciences européennes (EASAC) a lui aussi confirmé ce verdict, en 2017.
Ce constat mena en 2018 un collectif de médecins français à exiger l’exclusion de l’homéopathie du champ médical. En 2021, l’évaluation négative de l’homéopathie par la Haute autorité de santé (HAS) entraîna la fin de son remboursement en France.
L’homéopathie fait de la résistance
Tout comme celle du magnétisme animal de Mesmer, l’histoire de l’homéopathie aurait pu s’arrêter avec la démonstration du fait que son efficacité n’excède pas celle d’un placebo. Pourtant, cette approche continue à être employée.
En dépit des résultats de la médecine basée sur les preuves, certains pays comme l’Inde et le Mexique ont maintenu pour des raisons politiques leur soutien à l’enseignement et la pratique de l’homéopathie et continuent à en faire la promotion. Dans ces pays, l’homéopathie dispose d’une reconnaissance officielle, et elle est profondément intégrée au système de santé.
En France, l’homéopathie est également encore vivace. Une importante industrie s’est développée dans les années 1930. Les laboratoires Boiron et Lehning font aujourd’hui de la France le leader mondial de l’homéopathie. Ces industries ont multiplié la publicité et le lobbying en faveur de cette approche. Elles ont investi dans la promotion de formations à destination des professionnels de santé afin de se garantir un solide socle de sympathisants au sein des professions médicales. Elles ont également financé, dans des laboratoires de recherche universitaire, la réalisation de thèses censées démontrer l’efficacité des remèdes homéopathiques.
En 2022, 83 % des Français se déclarent toujours favorables à l’utilisation de l’homéopathie, et 33 % considèrent même que son efficacité est scientifiquement prouvée.
Cette croyance populaire dans des remèdes sans valeur thérapeutique contribue à entretenir un climat de méfiance vis-à-vis des mesures de santé publique et à alimenter les thèses complotistes sur les réseaux sociaux. Un sondage a d’ailleurs mis en évidence que les individus ayant une opinion très négative de la vaccination sont aussi ceux qui ont le plus recours l’homéopathie.
À une époque où les réseaux sociaux favorisent la circulation de fausses nouvelles, il est plus que jamais nécessaire d’inciter les patients à être vigilants face aux thérapies non prouvées, et à s’orienter vers des sources d’informations fiables et des avis médicaux certifiés. Pour cette raison, il est vital d’éduquer le public (et les professionnels de santé) aux normes de preuves de la médecine basée sur les preuves.
Eric Muraille a reçu des financements de FRS-FNRS (Belgium)
Elie Cogan ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.