Jeu de massacre
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Fidèle à l’esprit de la série culte qui a marqué les esprits, Strip Tease revient sur grand écran la semaine prochaine avec cinq inédits
Au départ, Striptease, on s’en souvient, c’est une émission culte de la RTBF, la chaîne de télévision publique de nos voisins belges. Créée en 1985, elle migre sur Canal + puis sur France 3, et enfin sur RMC Story, d’où conflit judiciaire pour plagiat. Le concept de base ? Ni musique, ni voix off, ni interviewer, ni même de scénario, mais des tranches de vie servies comme du gigot froid, en s’interdisant plusieurs prises, naturellement : un regard cru, bien saignant, sur des primates qui, l’espace d’un moment, se laissent déshabiller au sens figuré, avec leur consentement présumé. D’où le titre.
Yves Hinant et Jean Libon sont les deux inventeurs du « concept ». Ils sont connus pour leurs longs métrages documentaires Ni juge ni soumise (2017) et Poulet frites (2021) – ce dernier, captivant, toujours visible sur Netflix, suit (en noir et blanc) le travail d’investigation d’un commissaire de police bruxellois pour élucider un crime de sang sur une prostituée, dont tout semble accuser un pauvre bougre, boucher de son état, aux méninges assez limitées. Crime qui s’avèrera commis par un psychopathe bengali sans papiers localisé à Londres… et qui court toujours !
Cette fois, le fameux duo s’est adjoint une brochette de comparses documentaristes pour enfiler, sous le titre générique Striptease intégral, quelques perles dans le collier du vécu banal, voire trivial.
L’odeur de l’essence : Cassi, Shady et Jolve [sic], trio de pétasses influenceuses sous le ciel de Dubaï, dans le miroir de leur snaps, mirant en selfies compulsifs leurs faux ongles, leurs fausses dents, leurs faux cils, tout en baragouinant un idiome de 30 vocables où reviennent en boucle les expressions « truc de ouf », « la vie d’ma mère », « c’est ouf », « je kiffe », « c’est hardcore » … Convertie dans l’immobilier sur le net, l’une d’entre elles se vantera : « j’ai vendu un appart à une Luxembourgeoise de 50 balais qui kiffait mes snaps ».
Miroir mon beau miroir : au cœur du festival « off » d’Avignon, Coline, la cinquantaine révolue, plantureuse reine de l’impro dotée d’un enviable optimisme, tracte, chante, fait son show dans un théâtre déglingué de 20 places, encouragée par son manager à na pas lâcher prise quoiqu’il en coûte.
Zéro déchet : génitrice médailles de baptême des mioches en sautoir, géniteur chevalière en or au doigt, bienvenue dans cette fertile tribu catho bon genre où après la messe de l’Ascension on déjeune en famille, le petit curé de la paroisse comme invité d’honneur. Pas de gâchis chez ces servants du vinaigre et du bicarbonate : la bien-pensance fait ménage avec l’hygiène.
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Les antécédents familiaux : père (présumé) décédé à 58 ans d’un cancer du foie, mère suicidaire, autant de mauvais augures cumulés pour Olivier, lui-même affecté d’une fragilité cardiaque et qui, tout médecin qu’il est, redoute en conséquence de clamser à son tour prématurément : chemin de croix de l’hypocondrie. La cinéaste Mathilde Blanc filme ici son papa dans ses paniques.
Bidoche, court métrage conclusif, est sur le registre formel le plus radical des cinq : en un unique plan fixe, dans une morgue, l’autopsie d’un macchabée par le médecin légiste – combinaison blanche, pas de masque mais des gants, et des lunettes. Myope ? Astigmate ? Devant la table en métal gris, le praticien découpe attentivement la dépouille, dans des bruits de succion et de vidange, tandis que le magnéto enregistre son rapport, qu’il émet au micro d’une voix privée d’affect : « les carotides sont bien larges, bien souples »… Vers la fin, le légiste mande un photographe qui grimpe sur l’escabeau pour effectuer le cliché scientifique.
Poésie, quand tu nous tiens… À dire vrai, c’est moins l’accroche formelle ou l’acidité dans l’intention que le pathétique de cette galerie qui afflige. Est-ce bien toi, là vraiment, « mon semblable, mon frère », comme disait l’autre ?
Striptease intégral. Documentaire de Jean Libon, Clémentine Bisiaux, Régine Dubois, Mathilde Blanc, Yves Hinant. Belgique, couleur, 2024. Durée : 1h30
En salles le 12 février 2025.
A voir sur Netflix : Poulet frites. Documentaire d’Yves Linant et Jean Libon. Belgique, noir et blanc, 2021. Durée : 1h43
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