Brigade littéraire
Marc Alpozzo publie « Galaxie Houellebecq (et autres étoiles) »... L’article Brigade littéraire est apparu en premier sur Causeur.
On réécrit les classiques ; on interdit les ouvrages jugés incorrects par rapport à la nouvelle morale ; on fait appel, dans les plus illustres maisons d’édition, à des sensitivity readers, prédits par Philippe Sollers dans son roman Portrait du Joueur (1985) ; on déstructure la langue française, on n’enseigne plus le passé simple en primaire, elle devient une « langue fantôme » selon l’expression de Richard Millet, lanceur d’alertes – immigration de masse, avènement d’une « novlangue », défaite de l’Éducation nationale, perte de sens – cloué au pilori par Tahar Ben Jelloun et Annie Ernaux, cette dernière étant à l’origine d’une liste signée par cent vingt écrivains de l’ère post-littéraire. Bref, c’est la vague scélérate de la cancel culture née dans les universités américaines.
Préfacé par Stéphane Barsacq
Marc Alpozzo, très présent sur les réseaux sociaux, est philosophe et critique littéraire. Il a publié une douzaine de livres et il est coauteur de plusieurs ouvrages collectifs, dont L’humain au centre du monde (Cerf). Il a décidé de rassembler un certain nombre de ses articles parus dans la presse depuis quinze ans en un volume intitulé Galaxie Houellebecq (et autres étoiles). Dans sa préface, Stéphane Barsacq, toujours précis, résume l’enjeu : « Sommes-nous destinés, à la suite de la mort de Dieu, à mourir d’épuisement pour rien ? À devenir des fonctionnaires de l’inessentiel ? Des prothèses de l’intelligence artificielle ? Des cellules souches pour le triomphe de l’eugénisme de type néo-libéral ‘’infra nazi’’ ? » En d’autres termes, nous sommes la première civilisation sans valeurs suprêmes, et ce n’est pas rien. Alors soumission, pour reprendre le titre d’un roman de Houellebecq ? Ou, au contraire, comme le demande Barsacq : « Sommes-nous sur le seuil d’une résurrection, au terme d’une descente aux enfers – soit le chemin même qui a mené Jésus au point où il est devenu le Christ ? » À chacun sa réponse. Pour nous aider à y voir clair, dans cette nuit aussi noire que celle de Goya, Marc Alpozzo réunit cette galerie improbable où se côtoient Maurice Barrès, Milan Kundera, Céline, Régis Debray, Alain Finkielkraut, Philippe Muray, Marcel Jouhandeau, Richard Millet et d’autres qui ont refusé de participer à la danse des spectres shakespeariens. Ça offre un ouvrage de respiration mentale assez salutaire.
Houellebecq, c’est une littérature « de fin de siècle » écrit Alpozzo, qui ajoute : « Ça n’est pas une littérature éveillée. C’est une littérature qui protège et prolonge le grand sommeil des peuples. C’est une littérature mortifère, sans espoir de hauteur. C’est une littérature de petit homme. » C’est pour cela qu’elle plait tant aux bobos. Houellebecq est grand dans la dépression et les Monoprix, à la recherche d’une bouteille d’alcool et de préservatif goût fraise. Son talent excelle lorsqu’il s’agit de précipiter ses personnages essoufflés dans le vice, la déchéance, le vide. Le nihilisme, c’est son fonds de commerce. Il pressent une guerre de civilisation entre la France et l’islam. Et il annonce une défaite française, une « soumission » pour reprendre le titre d’un de ses plus impeccables romans. Mais le vainqueur, toujours selon Houellebecq, ne sera pas l’islam, mais le capitalisme. Le bonheur est une idée dangereuse, puisque lors de sa conférence au Cercle de Flore, il lança d’une voix blanche : « Tout bonheur est d’essence religieuse. On est plus heureux, même avec des religions merdiques. » Difficile de voir en lui l’écrivain qui sortira la France de l’ornière. Sauf à considérer qu’il peut jouer le rôle du négatif d’une photo.
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Difficile également de faire coexister Sollers et Houellebecq. Sollers, c’est Mozart joué parmi les oiseaux sur l’île de Ré. Pas de dépression en vue à lire Sollers, mais un hennissement de vitalité, une ligne à haute tension rimbaldienne, une palette qui ignore le noir. Pas de corps triste, pas de sexualité en berne. Le bonheur, chez le Vénitien de Bordeaux, est une idée éternellement jeune, expérimentée individuellement. À la différence de Houellebecq qui se complait dans les eaux stagnantes, Sollers navigue sur l’Atlantique, indiquant d’un doigt ferme les récifs à éviter : « L’émotion est très contagieuse, et la victimisation permanente. L’infantilisation progresse donc vers un langage de plus en plus punitif, où les élites sont toujours coupables. » (Extrait tiré de Légende, cité par Alpozzo). Il convient alors de prendre le chemin de l’école buissonnière pour échapper à la Société dont on a clairement identifié les dévots zélés.
On ferme
Cette galaxie hétérogène est-elle efficace ? Trop de contrastes existent entre les écrivains répertoriés par Marc Alpozzo. D’autant plus que les intellectuels sont en grande partie discrédités depuis la fin du XXe siècle. Beaucoup se sont fourvoyés en soutenant des idéologies mortifères. Être là, où il faut, quand il le faut, requiert clairvoyance, courage et honnêteté. On ne citera pas ceux qui furent dépourvus de ces qualités fondamentales. La liste serait interminable. Marc Alpozzo cite l’étude de François Dosse, La saga des intellectuels français (Gallimard, 2018) et conclut ainsi : « Notons également qu’on ne ressort pas indemne de la lecture de cette somme. Car elle trace l’itinérance et les errances d’une saga d’intellectuels engagés, qui ont souvent échoué dans leurs idéaux, et n’ont su sauver l’homme du désastre de la modernité. »
Il faut cependant lire le livre de Marc Alpozzo, et choisir l’écrivain qui correspond le mieux à nos aspirations salvatrices. Il sera le passage de l’ombre à la lumière pour reprendre une image chère à Victor Hugo. Ses livres seront, ou sont déjà, sur la table de chevet. On les feuillète au hasard. On les relit, à des époques différentes de la vie. On les laisse tomber, jamais longtemps. L’écrivain devient alors un compagnon de route. Sa « voix » ne nous quitte pas. Elle résonne (raisonne) quand le brouillage social est trop puissant. Il arrive parfois que l’espoir s’absente. Dans Les Derniers jours, cahier « politique et littéraire » (1927), Drieu la Rochelle laisse éclater son pessimisme : « Tout est foutu. Tout ? Tout un monde, toutes les vieilles civilisations – celles d’Europe en même temps que celles d’Asie. Tout le passé, qui a été magnifique, s’en va à l’eau, corps et âme. »
Marc Alpozzo, Galaxie Houellebecq (et autres étoiles). Éloge de l’exercice littéraire, préface de Stéphane Barsacq, LESEDITIONSOVADIA, 333 pages
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