Bayrou : durer, quoi qu’il en coûte
Quoiqu’essentiellement homme de lettres et d’histoire, notre nouveau Premier ministre François Bayrou maîtrise splendidement les additions et les soustractions. Il ne lui a pas échappé que si l’on ajoute les voix des députés du Rassemblement national (124) et de son allié Ciotti (16) à celles du Nouveau front populaire in extenso (PC 17 + Verts […]
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Quoiqu’essentiellement homme de lettres et d’histoire, notre nouveau Premier ministre François Bayrou maîtrise splendidement les additions et les soustractions. Il ne lui a pas échappé que si l’on ajoute les voix des députés du Rassemblement national (124) et de son allié Ciotti (16) à celles du Nouveau front populaire in extenso (PC 17 + Verts 38 + PS 66 + LFI 71 = 192), on obtient 332, soit 43 voix de plus que les 289 voix nécessaires (majorité simple) pour faire tomber le gouvernement en place. La preuve par les déboires récents de Michel Barnier.
En revanche, soustrayez à 332 les voix de tout groupe, disons même tout regroupement, dont les effectifs sont supérieurs à 43 et vous voyez s’éloigner le terrible couperet de la censure qui menace tout gouvernement à tout moment depuis que les élections législatives de 2024 ont accouché d’une Assemblée nationale divisée en trois blocs dont aucun ne dispose de la majorité absolue (voir composition ci-dessous).
Composition de la XVIIe législature de la Ve République française au 11 déc. 2024
Dès lors, il n’y a pas cinquante solutions. Les communistes et les Verts ayant maintes fois confirmé leur attachement indéfectible au programme du NFP, il ne reste que le Parti socialiste qui soit susceptible de répondre aux attentes du Premier ministre. Soixante-six députés, quelques états d’âme face à la radicalité autoritaire du grand manitou du NFP Jean-Luc Mélenchon – il n’en fallait pas plus à M. Bayrou pour tendre ses perches en direction d’Olivier Faure, premier secrétaire du PS, et de François Hollande, ancien locataire de l’Élysée et actuel député PS, dont on dit qu’il fut instrumental dans les concessions accordées à son parti par le Premier ministre.
Enfin, concessions… On ne sait plus vraiment.
Car François Bayrou, c’est avant tout l’obstination narcissique d’un homme convaincu de son grand destin politique. Ce sont de longues tirades, de l’arrogance et de la vertu triple épaisseur jetés à la face de tous ses adversaires. Ce sont des louvoiements permanents entre la droite et la gauche, des alliances nouées et dénouées pour mieux se faufiler vers les sommets. Ce sont des coups d’éclat permanents, des caprices et des menaces de chantage perpétuellement agités par un politicien ingérable qui se prend depuis toujours pour l’homme sage, lettré, influent et indispensable de la vie politique française.
On se rappellera notamment qu’en 2012, année où il se présentait pour la troisième fois à l’élection présidentielle, il avait annoncé dans l’entre-deux-tours qu’il voterait pour François Hollande (PS, gauche) contre le sortant Nicolas Sarkozy (UMP, droite). Le premier n’avait rien négligé en vue de donner une ampleur magique à sa campagne (“mon ennemi, c’est la finance”, tranche à 75 % sur les hauts revenus) et Bayrou fut facilement séduit par de tels arguments, comme il semble l’être aujourd’hui pour obtenir les bonnes grâces du même PS, piloté en sous-main par le même Hollande.
Dans son discours de politique générale, il a certes eu des mots très forts contre le surendettement dangereusement continu de la France et il n’a pas masqué que l’équilibre branlant des régimes de retraite n’était obtenu qu’au prix d’une ponction annuelle de 55 milliards sur les budgets publics, autrement dit 55 milliards de dette en plus. Je vous avais dit qu’à l’occasion, M. Bayrou savait additionner et soustraire. Encore faudrait-il que le constat des faits soit suivi de la mise en place de politiques publiques visant à réparer le problème identifié.
Or il semblerait que sitôt évoqué, le constat ait disparu au profit du nouveau mantra qui tient dorénavant lieu de boussole gouvernementale – et qui arrange bien les petites affaires du Premier ministre lui-même personnellement : les Français n’aspireraient plus qu’à une seule chose, la STA-BI-LI-TÉ. Les motions de censure, les gouvernements qui tombent tous les trois mois, ça suffit ! Vite, du compromis et un projet de loi de finances (PLF 2025) enfin voté, que nos compatriotes sachent une bonne fois pour toutes à quoi s’en tenir et retrouvent au plus vite le bienfaisant train-train quotidien de l’exception française.
Précision : la coûteuse exception française. Pas de changement de ce côté-là.
Car s’il est à nouveau question de réaliser des économies (sous la forme de 21 milliards de recettes fiscales en plus et 32 milliards de dépenses en moins) afin de ramener le déficit public de plus de 6,1 % en 2024 à 5,4 % en 2025, les actes de M. Bayrou n’en prennent pas vraiment le chemin. Entre les “concessions” (sur les taxes différentielles, sur l’abandon des suppressions de postes dans l’Éducation nationale, etc.) chiffrées conservativement à 3 milliards d’euros en plus et le flou artistique maintenu autour de la renégociation de la réforme des retraites, sans oublier le coût de la censure du gouvernement Barnier (notamment la revalorisation de toutes les retraites au 1er janvier 2025 et pas seulement les plus faibles, soit à nouveau 3 milliards en plus), on pourrait facilement atteindre un dérapage de 10 milliards d’euros par an.
La tendance est donc une nouvelle fois à la hausse des taxes et des dépenses. Quand on sait de plus que le nouveau ministre de l’Économie Éric Lombard place (vidéo, à partir de 13 mn 45 s) la transformation écologique au sommet de toutes les priorités françaises du moment, ce qui pour lui ne pourra passer que par une baisse de la rentabilité des entreprises, on se demande comment lui, Bayrou et tout le microcosme qui gravite avec empressement autour d’eux pourront “augmenter le pouvoir d’achat des personnes qui gagnent peu” ainsi que M. Lombard le souhaite dans la même vidéo. Il faut croire que c’est le prix de la stabilité prétendument réclamée par les Français. Et tant pis si la croissance, donc l’emploi et le pouvoir d’achat, en prennent un coup.
D’ailleurs, dans les cercles gouvernementaux, tout le monde s’accorde à dire que François Bayrou a magistralement négocié avec le PS dont 58 députés sur 66 se sont abstenus lors du vote de la motion de censure déposée contre lui par les Insoumis à l’issue de son discours de politique générale, laissant ainsi entrevoir un vote du budget des plus sereins et une France enfin apaisée par ses soins diligents. On loue même à n’en plus finir ses talents de fin “manœuvrier”. Voilà qui devrait ravir l’historien distingué qu’il est, puisqu’il s’agit précisément du terme dont usait Napoléon pour vanter les mérites du maréchal Soult à Austerlitz. Notre Bayrou vient quasiment de prendre son plateau de Pratzen !
Mais est-ce bien certain ?
La bonne volonté du PS à l’égard du Premier ministre a réveillé des envies de fronde chez bon nombre de socialistes qui s’agacent de voir Hollande, celui qui “a laissé le PS dans un état de désolation presque totale”, faire la pluie et le beau temps auprès d’Olivier Faure. Du reste, ce dernier n’a pratiquement rien promis. Il a pris acte des “concessions” non sans une évidente satisfaction, mais il attend le PLF pour juger sur pièce. Et de toute façon, qui, à part Hollande, pourrait croire que le PS est maintenant libre de ses mouvements jusqu’en 2027, date à laquelle il serait en position favorable pour former une majorité présidentielle ? Sans ses alliés traditionnels de l’ex-gauche plurielle, c’est perdu d’avance.
D’autre part, qui dit que les Républicains “canal historique” ne pourraient pas manifester de l’hostilité vis-à-vis des fameuses “concessions”, surtout si elles doivent croitre et embellir d’ici la discussion concrète sur le PLF 2025 ? Leur ligne politique est suffisamment floue pour qu’on ne puisse conjecturer sur quoi ou contre quoi ils pourraient voter. Or ils sont 47. Dans le cas où le NFP et le RN mêleraient leurs voix pour rejeter le PLF, cela suffirait amplement pour mettre le gouvernement en difficulté, même si les socialistes s’abstenaient tous.
Mais bref. Pour l’instant, François Bayrou a manifestement choisi de durer quoi qu’il en coûte. Encore un grand plan d’enfer pour la France. Ça promet.