Tombeau de Callas

L’interprétation d’Angelina Jolie ne rend pas justice à la mémoire de Maria Callas. On s’ennuie terriblement dans le film du Chilien Pablo Larraín... L’article Tombeau de Callas est apparu en premier sur Causeur.

Fév 1, 2025 - 16:18
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Tombeau de Callas

L’interprétation d’Angelina Jolie ne rend pas justice à la mémoire de Maria Callas. On s’ennuie terriblement dans le film du Chilien Pablo Larraín


Dans un immense salon cossu, trois pandores en uniforme, deux types en blouse blanche, et autres comparses – un médecin, un inspecteur de police ? Personne ne dit mot. Posée sur le tapis au pied des hautes croisées, une civière. On distingue, au centre, derrière un meuble, le corps allongé d’une femme vêtue d’une simple nuisette : c’est la Callas ; elle est morte. Ses deux caniches la pleurent.

Ainsi s’ouvre Maria, sur une séquence muette, dans la lumière mordorée d’un jour parisien. Pablo Larraín s’était employé, en 2016, à démystifier l’épouse du président Kennedy, avec le film Jackie – Natalie Portman dans le rôle-titre. Comme le monde est petit et que la petite histoire rejoint toujours la grande, voilà notre cinéaste chilien qui, cette fois, se retourne sur cette autre icône planétaire, dont les derniers jours nous sont ressuscités, empruntant aux traits d’une autre star : Angelina Jolie.

Anorexique, droguée aux cachets de métaqualone (plus connus sous l’appellation de Mandrax), Maria Callas, en ces années 1970, se survit donc solitairement à elle-même, cloîtrée dans son gigantesque appartement parisien de l’avenue Georges Mandel encombré de bustes gréco-romains et d’antiquités kitsch, d’un mauvais goût ostentatoire. L’attention quotidienne et inquiète de Ferrucio, son chauffeur-majordome (Pierfrancesco Favino) et de Bruna, sa cuisinière-femme de chambre (Alba Rohrwacher) se porte sur la santé physique et mentale déclinante de la capricieuse et instable soprano lyrique : elle fait déplacer son piano à queue dix fois par jour, et s’exhibe à l’occasion sur telle ou telle terrasse de café, mue par le besoin avoué, compulsif, « d’être adulée » encore et toujours. Pas plus qu’elle n’écoute les objurgations du docteur Fontainebleau, son médecin (Vincent Macaigne), elle ne se range aux conseils de Jeffrey, son répétiteur (Stephen Ashfield), lequel accompagne au clavier, dans une salle vide, les cris de crécelle de la cantatrice déchue. Avouons qu’il faut un courage quelque peu masochiste à Angelina Jolie pour endosser cet emploi de diva en bout de course, jusqu’à vous vriller les tympans dans les arias massacrées d’Anna Bolena ou de Tosca.  

En contrepoint des séquences fictionnées – en couleur – alternent authentiques images d’archives, et reconstitutions –  en noir et blanc. Dans cet assemblage, Maria exhume, nappés d’extraits de Norma ou de La Wally, comme une remémoration de sa destinée, quelques « moments forts » de « La Callas »: entre autres, sa rencontre avec Aristote Onassis et, quinze ans plus tard, ses visites à l’armateur lorsqu’il se meurt à l’hôpital américain de Neuilly. Campé ici par le comédien turc Haluk Bilginer dont la moumoute chenue lui assure une ressemblance physique plutôt convaincante avec son modèle, le fameux milliardaire grec nous est ici montré sous l’aspect grotesque d’un vulgaire parvenu se vantant en public de sa fortune, havane au bec, puis comme un sigisbée transi et sentencieux : la caricature est poussée un peu loin.

© ARP-FilmNation

De même confine au ridicule achevé le passage (toujours en noir et blanc) nous dévoilant « Maria » adolescente, plantureuse et mal attifée, flanquée de sa sœur aînée Yakinthi, et prostituant sa voix plutôt que ses fesses à deux officiers SS hypnotisés, dans la Grèce alors occupée par les nazis. Que dire du petit interviewer américain qui, magnéto en bandoulière et bientôt entraîné par Callas dans ses baguenaudes des beaux quartiers, finira, dans le no man’s land photogénique des jardins du Palais Royal, par lancer – plan serré sur sa frimousse juvénile – un « I love you » à son idole ? Idem, JFK (Caspar Philipson) et Jacky (la future épouse d’Onassis comme l’on sait), effleurent l’écran dans une scène expéditive. Non, franchement, Maria ne rend pas justice à la mémoire de la légendaire prima donna.

Peut-être quelques-uns des lecteurs de Causeur auront-ils vu La Mort de Maria Malibran, œuvre-culte du cinéaste et metteur en scène d’opéra Werner Schroeter (1945-2010), éclos dans la mouvance de ce qu’il est convenu d’appeler le « Nouveau Cinéma Allemand », qui eut son heure de gloire dans les années 1970. C’était quand même autre chose ! Au moins l’idolâtrie lyrique se donnait-elle des ailes.  

Maria, film de Pablo Larraín. Avec Angelina Jolie. États-Unis, couleur/noir et blanc, 2024. Durée : 2h04. En salles le 5 février 2025.

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