Lycées agricoles : quelle place pour les filles ?
Si les filles sont de plus en plus présentes dans les lycées agricoles, des ségrégations de genre persistent entre les filières et selon les spécialités.
Face aux départs en retraite et à la crise du renouvellement des générations dans les exploitations agricoles, les établissements de formation veulent encourager les vocations, notamment chez les filles. Si celles-ci sont de plus en plus présentes dans les lycées agricoles, des ségrégations de genre persistent entre les spécialités.
D’ici dix ans, la majorité des exploitants agricoles actuels seront partis en retraite. Comment assurer la relève ? Face à cette crise du renouvellement des générations, le ministère mise sur des manifestations nationales comme le Salon de l’agriculture ou des forums d’orientation pour présenter les métiers du secteur et susciter des vocations. Il met aussi en avant la présence croissante des filles dans les lycées agricoles, qui constitueraient un vivier pour prendre le relais.
Dans les années 2010, les filles représentaient la moitié des effectifs de l’enseignement agricole et plus de 60 % des publics des écoles supérieures agricoles. C'est la période où leur présence a été la plus forte dans ces filières. Depuis, leur place a un peu diminué, les lycées agricoles accueilleraient aujourd'hui 44 % de filles.
Cependant, cette parité dans les formations masque des ségrégations de genre en fonction des spécialités choisies qui favorisent plutôt la masculinisation des métiers agricoles. Depuis les années 1980, la part des agricultrices est d’ailleurs en baisse. Regard sur les résistances et les stéréotypes à l’œuvre.
Dans les lycées agricoles, le poids des services aux personnes
Dans l’enseignement agricole, les filles se concentrent majoritairement dans une filière qui ne prépare pas à l’agriculture : celle des services aux personnes, qui s’inscrit dans l’héritage des écoles ménagères agricoles.
La présence des filles dans l’enseignement agricole s’explique avant tout par l’essor de cette filière (qui accueille 40 % des élèves) destinée à former notamment de futures professionnelles du « care », et qui accueille essentiellement des filles dont les parents sont ouvriers et employés.
En parallèle de cet essor, la part des enfants d’agriculteurs n’a cessé de diminuer dans ces lycées : leur proportion dans l’enseignement agricole a été divisée par deux entre 1990 et 2002, passant de 34,3 % à 17,3 %. Même si la proportion des enfants issus du monde agricole est plus importante lorsqu’on regarde la famille dans son ensemble (grands-parents, oncles, etc.), 10 % des publics auraient aujourd’hui des parents agriculteurs.
Depuis les années 1960, avec cette filière, l’enseignement agricole a avant tout accompagné l’éviction de la main-d’œuvre familiale, plus particulièrement des filles, laissées de côté par la modernisation agricole. Le départ des femmes de l’agriculture répondait à leurs aspirations à une autonomie professionnelle, difficilement envisageable dans un milieu agricole où leur travail restait à l’époque peu voire pas reconnu.
Pour une partie des filles, ces formations de services aux personnes permettent de « rester sur place » tout en répondant à ce souhait d’être indépendante par rapport à la famille, mais il s’agit, le plus souvent, d’une étape dans un parcours marqué par des mobilités vers le milieu urbain ou péri-urbain où elles trouveront des emplois tertiaires.
Une présence limitée des filles dans les formations agricoles
D’autres filières comme celle des métiers du machinisme agricole sont presque fermées aux filles. Le tracteur reste associé à un symbole de la masculinité comme l’attestent les récits des garçons dans cette filière qui ont eu la possibilité de monter sur les tracteurs dès leur plus jeune âge. À titre d’exemple, le baccalauréat professionnel Agroéquipement accueille 98 % de garçons en 2022.
L’absence de familiarisation des filles aux travaux mécaniques ne signifie pas pour autant qu’une fois insérées dans l’activité agricole, elles ne souhaiteront pas intervenir sur les machines. Des espaces de non-mixité choisie, en formation adulte, se sont développés sous leur impulsion pour répondre à leurs besoins de formation où elles peuvent apprendre à manœuvrer les machines agricoles.
D’autres segments de l’enseignement agricole se caractérisent par une présence plus marquée des filles, c’est le cas des aménagements paysagers ou de la viticulture. Les garçons restent néanmoins le public majoritaire : par exemple, dans le baccalauréat aménagements paysagers, ils sont près de 90 % en 2022.
Et des formes de ségrégation s’installent : les garçons se préparent davantage aux activités de production, tandis que les filles vont plus souvent s’engager dans les emplois de bureaux et commerciaux. Ce phénomène est particulièrement vrai dans le domaine viticole où les emplois sont davantage occupés par les femmes que dans d’autres secteurs agricoles. Et lorsqu’elles sont impliquées dans le travail productif, on parle alors de « travaux de femmes » car elles réalisent des tâches manuelles comme l’ébourgeonnage (pour supprimer des rameaux inutiles à la vigne), le relevage ou le palissage.
Résistances et obstacles dans les formations masculines
Par ailleurs, si les filles forment désormais près d’un tiers des effectifs des publics dans les filières agricoles, leur intégration fait l’objet de résistances. Il leur est plus difficile de trouver un maitre de stage et elles sont testées dans les stages pour vérifier leurs capacités.
Il existe néanmoins des filières agricoles où leur présence des filles est attendue, voire souhaitée dans le contexte de crise de renouvellement, notamment dans les formations préparant à des métiers en relation avec les animaux. Ainsi, on les retrouve davantage dans les filières comme l’élevage agricole ou les formations hippiques.
Leur orientation dans ces filières s’inscrit dans le prolongement d’activités familiales durant leur enfance, dont la pratique de l’équitation et le soin apporté aux animaux de compagnie. Mais des stéréotypes sont véhiculés à leur égard : elles seraient plus sensibles au bien-être animal.
Dans ces filières, les filles n’ont pas accès aux mêmes ressources, notamment les capitaux économiques, pour pouvoir se projeter dans l’installation agricole. Dans la filière du cheval par exemple, elles viennent majoritairement d’autres milieux : leur éloignement social de l’agriculture les conduit à des formes de désenchantement en formation face à ce qu’elles percevaient initialement de l’univers agricole et du respect du bien-être animal.
Les limites des dispositifs de lutte contre les stéréotypes
Depuis les années 2000, dans le cadre des conventions interministérielles, des actions ont été entreprises par le ministère de l’agriculture pour favoriser la mixité. Ce rôle a été confié au réseau « Insertion Égalité Diversité », qui a développé des actions comme les plaidoiries citoyennes, la semaine de l’entrepreneuriat féminin, la promotion et la valorisation de projets de création de vidéos pour lutter contre les discriminations.
Bien que ces actions s’adressent à tous les élèves, les garçons ont tendance à moins s’y investir car ils ne sentent pas aussi concernés que les filles. Les discours justifiant ces actions reposent sur l’idée que les ségrégations de genre s’expliqueraient par la persistance de stéréotypes chez les élèves qu’il faudrait déconstruire ; il y aurait une « autocensure » chez les filles expliquant leur faible présence dans les filières agricoles.
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Or, lorsqu’elles veulent s’engager dans des espaces masculins, des obstacles s’installent. Ces actions n’ont d’ailleurs qu’un impact réduit sur les ségrégations de genre car elles s’adressent à des jeunes dont les décisions d’orientation sont déjà prises, à l’exception des élèves arrivant dès la classe de quatrième.
Les campagnes de communication mettent en avant des portraits d’agricultrices. Elles se focalisent sur les choix d’orientation des filles, mettant rarement en scène la situation inverse. L’égalité est ainsi appréhendée comme un rattrapage des filles et les freins à l’entrée des garçons dans les formations féminines sont de fait ignorés.
Joachim Benet Rivière ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.