Les métaux de nos objets connectés, face cachée de l’impact environnemental du numérique
On parle beaucoup de la consommation énergétique liée au numérique. Mais l’épuisement des ressources minérales que le secteur induit pèse pour beaucoup dans son impact environnemental.
Nos équipements numériques abritent chacun des dizaines de métaux, quasiment tous extraits en dehors de l’Europe. L’explosion du secteur numérique et la croissance exponentielle à venir de nos usages invitent à se pencher sur notre dépendance à ces matériaux et à leurs impacts environnementaux, sociaux et géopolitiques.
En constante progression, le secteur du numérique représente 4,4 % de l’empreinte carbone française, révèle un avis publié par l’Agence de la transition écologique (Ademe) le 9 janvier 2025. Un chiffre d’ailleurs sous-estimé, puisqu’il repose sur des données antérieures à l’avènement de l’intelligence artificielle générative grand public, dont l’usage est appelé à faire exploser l’impact environnemental du numérique – bien que l’on peine à ce stade à mesurer à quel point.
Le verdict de l’Ademe est, en tout cas, sans appel. Aujourd’hui, l’épuisement des ressources minérales utilisées dans les équipements numériques – en particulier en lien avec l’extraction des métaux – pèse lourd dans le bilan environnemental global du numérique. Un simple smartphone contient ainsi une cinquantaine de métaux différents. Consommation d’énergie et d’eau, pollution, conséquences sanitaires, conflits d’usage avec les populations… L’exploitation de ces métaux pose de gros enjeux sociaux et environnementaux dans les pays où ils sont extraits.
Dans ce contexte, l’Ademe a également mené une étude sur les 25 principaux métaux présents dans 20 équipements numériques fréquents. De quoi évaluer leur degré de criticité au regard de différents critères – notamment la capacité à les recycler – afin de réaliser une analyse prospective à l’horizon 2035.
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Des métaux nombreux et peu d’informations
Premier constat : l’étude met en lumière le manque d’informations et de transparence sur la composition métallique des équipements numériques ainsi que sur la provenance des métaux incorporés. Un flou qui s’explique en partie par la multitude d’intermédiaires en jeu qui rend difficile la traçabilité et le manque de volontarisme à la transparence des fabricants d’équipements, faute de réglementation les y astreignant.
Ce qui ne laisse aucun doute, c’est que chaque équipement compte de multiples métaux, bien souvent des alliages, qui chacun présente des propriétés physiques spécifiques. Pour donner quelques exemples :
un écran contient entre autres de l’argent, de l’étain, du germanium, du platine, du palladium ou encore du tantale ;
une batterie lithium-ion a, quant à elle, besoin d’aluminium, de cobalt, de cuivre, de lithium, de manganèse ou encore de nickel ;
et une carte mère d’aluminium, d’antimoine, d’argent, de cuivre, de nickel ou d’or.
On peut identifier plusieurs grands types de métaux :
ceux qui sont nécessaires en quantités importantes, tels que le cuivre et l’aluminium, mais pour lesquels le numérique représente une part assez faible de la production mondiale ;
ceux présents en faible quantité dans les équipements mais pour lesquels le numérique représente 80 à 90 % du gisement mondial – à savoir le germanium, le gallium et l’indium ;
et, enfin, les métaux précieux comme l’argent, l’or ou le palladium : moins de 20 % de leur gisement est dédié au numérique.
L’analyse de l’Ademe identifie, parmi les 25 métaux, 5 métaux dits « critiques » : l’étain, l’argent, le ruthénium, le nickel et l’antimoine, juste devant l’or et le cuivre.
La criticité signifie qu’un risque pèse, à court ou moyen terme, sur leur approvisionnement au regard de différents critères : leurs impacts sociaux et environnementaux, la volatilité de leur prix, les incertitudes géopolitiques qui leur sont associées et la disponibilité du métal par rapport aux besoins mondiaux.
Ce dernier critère s’inscrit en outre dans un contexte où les métaux requis pour le numérique vont également connaître une demande croissante dans le cadre de la transition écologique, comme l’électrification des véhicules ou le déploiement des énergies renouvelables. Il sera donc nécessaire de fixer les priorités.
Des enjeux géopolitiques, environnementaux et sociétaux
Penchons-nous sur ces enjeux qui pèsent sur ces métaux et rendent leur approvisionnement particulièrement incertain à l’avenir.
Rappelons d’abord que la chaîne de valeur de l’extraction des métaux n’est pas située en Europe. Les métaux utilisés dans les équipements du numérique sont produits partout dans le monde à l’exception de l’Europe (en dehors de la Russie qui exploite le palladium). Cela pose, pour le Vieux Continent, de forts enjeux de souveraineté, avec une dépendance extrêmement forte vis-à-vis d’un petit nombre de pays pour la plupart des métaux.
Parmi ces derniers, la Chine domine largement : premier producteur sur 15 des 25 métaux étudiés, elle jouit d’un quasi-monopole pour 7 d’entre eux. Cette position vaut non seulement pour l’extraction mais plus encore pour l’affinage des métaux, qui demandent dans le numérique un degré de pureté extrêmement important.
Avec des conséquences directes : en décembre 2024, le pays a ainsi annoncé interdire l’exportation de germanium et de gallium vers les États-Unis. Notons en la matière que la dernière sortie de Donald Trump sur ses velléités d’annexer le Groenland n’est pas sans lien avec la richesse de ce territoire en métaux et la volonté du nouveau président américain de renforcer la souveraineté de son pays face à la Chine.
Ce contexte présente aussi des enjeux majeurs sur le plan environnemental, l’extraction de ces métaux pouvant être particulièrement dévastatrice. Elle exige ainsi parfois de creuser sur plusieurs centaines de mètres sous la roche, avec des consommations en énergie et en eau colossales et l’usage de produits chimiques polluants.
Au-delà de leurs effets délétères sur les écosystèmes, cette captation de la ressource retentit sur les populations locales, avec des conséquences sanitaires et des conflits d’usage – c’est le cas au Chili avec l’eau nécessaire à l’extraction du cuivre – allant parfois jusqu’à des conflits armés meurtriers et des violations des droits humains dramatiques, comme c’est le cas en République démocratique du Congo pour l’extraction du cobalt ou du tantale.
Enfin se pose, au-delà de l’extraction, la question de la fin de vie de ces métaux. Sur les 25 étudiés et plus généralement sur les 50 identifiés par l’Ademe, moins d’une dizaine sont recyclés. Ce recyclage concerne ceux qui ont le plus de valeur (comme l’or, l’argent, le platine ou le palladium) et ceux que l’on retrouve en plus grand nombre (comme le fer, le cuivre ou l’aluminium). Autrement dit, les métaux pour lesquels il y a une incitation économique au recyclage.
Ce recyclage ne permet par ailleurs quasiment jamais une réutilisation dans le secteur du numérique, car le degré de pureté exigé n’est pas atteignable. Les équipements comptent en outre de nombreux alliages de métaux qui ne sont pas éligibles au recyclage.
Un levier, la sobriété
Face à la question des métaux dans le numérique, plusieurs leviers existent.
En amont, à l’échelle réglementaire et des industriels, il s’agit d’agir sur l’écoconception des objets et de travailler sur la transparence des chaînes de valeurs pour contraindre les acteurs économiques à la responsabilité en la matière. L’Union européenne doit par ailleurs construire des politiques de souveraineté pour diminuer sa dépendance aux pays producteurs.
À titre individuel, on peut mobiliser des leviers comme l’allongement de la durée d’usage des équipements, le recours à la réparation, l’entretien des produits pour éviter les pannes – la plupart étant liées à un mauvais usage et une mauvaise protection – ou l’achat de produits reconditionnés. Il s’agit d’encourager le déploiement d’une économie de la fonctionnalité, moins centrée sur l’usage que sur la possession. En fin de vie ou d’usage, privilégions le don, la revente ou si nécessaire la remise de l’objet aux filières réglementaires de DEEE.
Mais ne nous leurrons pas, qu’il s’agisse de souveraineté ou d’impact environnemental, le principal levier demeure la sobriété. L’enjeu est d’autant plus crucial que notre possession d’objets connectés en France est appelée, au rythme actuel, à exploser. Le chiffre de 250 millions en France aujourd’hui devrait grimper à 10 milliards en 2050. Une seule solution s’impose pour freiner cette croissance exponentielle : limiter notre consommation de numérique et le nombre d’équipements que l’on possède.
Erwann Fangeat ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.