Découvrez le grand Mistigri fiscal qui passionne la France !
La préparation du Projet de loi de finances pour cette année (PLF 2025) tourne résolument au jeu du Mistigri. C’en serait même assez comique si la maîtrise de nos comptes publics n’était pas si désespérément mal engagée. Chacun anticipe que le valet de pique, autrement dit l’impôt supplémentaire, finira obligatoirement par s’introduire dans une poche […]
La préparation du Projet de loi de finances pour cette année (PLF 2025) tourne résolument au jeu du Mistigri. C’en serait même assez comique si la maîtrise de nos comptes publics n’était pas si désespérément mal engagée. Chacun anticipe que le valet de pique, autrement dit l’impôt supplémentaire, finira obligatoirement par s’introduire dans une poche ou dans une autre. Dès lors, tout le jeu consiste à s’en débarrasser au plus vite pour le refiler à son voisin.
C’est précisément cette opération plus ou moins habile d’évitement que vient de tenter le médiatique patron des Centres Leclerc, Michel-Édouard Leclerc, ainsi que nous le rapportait le site d’actualité économique Boursorama.
Il se trouve que cet automne, la révélation des déficits toujours plus béants qui caractérisent le modèle social et solidaire à la française (près de 6,2 % du PIB attendus en 2024 contre un plafond de 3 % autorisé par les traités de l’Union européenne et une prévision initiale de 4,4 %) s’est accompagnée de la prise de conscience que les pensions de retraite représentaient pratiquement la moitié de nos dépenses sociales et le quart de nos dépenses publiques.
Et de fait, il est clair que le système de retraite par répartition instauré par les bons soins des alliés communistes du général de Gaulle en 1945, outre qu’il prive les citoyens de prendre leurs propres décisions sur le sujet, n’est plus en mesure d’absorber l’évolution démographique vieillissante du pays. S’ensuit actuellement une bataille rangée entre actifs et retraités, chaque camp espérant faire valoir “ses droits” supérieurs auprès des pouvoirs publics.
Dans ce contexte, la ministre du Travail du tout nouveau gouvernement Bayrou a émis récemment l’idée que “les personnes retraitées qui peuvent se le permettre”, celles qui perçoivent plus de 2 000 ou 2 500 euros de pension mensuelle, a-t-elle même précisé, pourraient peut-être contribuer aussi au financement de la protection sociale, c’est-à-dire en fait au redressement des comptes publics.
Eh bien, Michel-Édouard Leclerc apprécie fort peu cette idée ! Il ne lui a sans doute pas échappé que la baisse du pouvoir d’achat d’un groupe démographique en pleine expansion, un groupe démographique qui, de plus, et contrairement aux actifs, ne peut guère améliorer ses revenus, ne fait pas du tout ses affaires de grand distributeur. Plus largement du reste, tout chef d’entreprise sait, ou devrait savoir parfaitement, que toute fiscalité supplémentaire, qu’elle soit appliquée aux particuliers ou aux entreprises, sera au bout du compte une pénalité envers les consommateurs, envers l’activité économique, envers la croissance, envers l’emploi et envers le pouvoir d’achat. Envers l’avenir, finalement.
Sauf que ce n’est pas du tout l’argumentation du patron des Centres Leclerc. Il se contente de refiler le problème à un autre secteur de développement économique en suggérant de taxer plutôt tout ce qui touche à l’industrie naissante de l’intelligence artificielle, de la robotique et du digital, arguant du fait que ces nouvelles technologies font concurrence au travail. On veut de l’argent pour financer les retraites et les autres prestations sociales ? Taxons l’IA ! Et bim, le Mistigri passe chez les grands acteurs du numérique.
Taxation des retraités : Michel-Édouard Leclerc demande plutôt de taxer la robotique, l’IA, le digital… https://t.co/9TYuR8z4Gl pic.twitter.com/kkSygyBaOx
— Boursorama (@Boursorama) January 22, 2025
De la part d’un chef d’entreprise, ce procédé de suggérer de taxer d’autres entreprises n’est pas très classe. Mais surtout, il témoigne d’un profond contresens à propos du travail, doublé d’une effrayante ignorance du processus du progrès humain et de la destruction créatrice.
Michel-Édouard Leclerc parle du travail comme s’il était figé à jamais dans les formes qu’on lui connaît aujourd’hui. Or la robotique, et plus généralement l’IA, n’est pas en concurrence avec le travail, elle le transforme, exactement comme l’imprimerie, la machine à vapeur, l’électricité, le téléphone, les transports ferroviaires puis aériens, etc. ont transformé le travail et la vie des hommes, généralement dans le sens d’une pénibilité moindre et d’une efficience accrue.
Le progrès technique a toujours suscité des craintes. Craintes pour les emplois des copistes, crainte de voir des idées “nauséabondes” se répandre rapidement et sans contrôle avec le développement de l’imprimerie, crainte pour l’activité des fabricants de chandelles, crainte de la vitesse des trains, craintes aujourd’hui des conséquences potentielles de l’intelligence artificielle. C’est parfaitement compréhensible. Mais d’une part, rien ne s’est passé comme le prévoyaient les réticents, et d’autre part, seule l’exploration des nouveaux territoires de découverte qui s’offrent à l’esprit humain permettra de séparer le bon grain de l’ivraie, certainement pas le statu quo ante.
Alors que l’on assiste à la mise en place d’investissements massifs dans l’IA de la part d’entreprises américaines et asiatiques, il est assez curieux de voir Michel-Édouard Leclerc adopter la pusillanimité ambiante qui prévaut en Europe.
J’aurais cru que dans son secteur de la grande distribution où les marges sont faibles (contrairement à ce que croient de nombreuses personnes) et où la logistique occupe une part importante des coûts et du temps de travail, il aurait accueilli avec intérêt tout ce qui lui permettrait de conserver ou améliorer ses marges tout en accordant plus de temps de travail et d’argent à la qualité des produits distribués et à l’instauration d’une relation équilibrée avec ses fournisseurs, notamment les éleveurs et les agriculteurs. Le consommateur, retraité ou pas, ne souhaite-t-il pas disposer des meilleurs produits au meilleur prix ?
Il faut croire que M. Leclerc a préféré jouer le court terme et l’air du temps. Où l’on voit que les entrepreneurs ne sont, hélas, pas à l’abri d’un certain populisme mal goupillé. C’est d’autant plus triste que tout ce que l’État redistribue sous forme de salaires, de subventions ou de prestations sociales procède d’une seule et unique source, le chiffre d’affaires des entreprises.