Cartographier l’imaginaire: les paracosmes d’Isabel Spantzel en Islande

Isabel Spantzel est une photographe allemande installée à Berlin. Avec son esthétique floue et éthérée, elle développe une approche méditative et onirique de la photographie, évoquant la création d’un monde imaginaire profondément personnel. Fascinée par les récits mystiques du folklore […]

Jan 28, 2025 - 12:19
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Cartographier l’imaginaire: les paracosmes d’Isabel Spantzel en Islande

Isabel Spantzel est une photographe allemande installée à Berlin. Avec son esthétique floue et éthérée, elle développe une approche méditative et onirique de la photographie, évoquant la création d’un monde imaginaire profondément personnel. Fascinée par les récits mystiques du folklore islandais, elle s’est rendue en Islande dans le cadre de la résidence SIM, où elle a développé la série “Paracosme”, librement inspiré par la nature et légendes.

chute de sel sur roches noires

Paracosmes: entre réalité et imaginaire

Le paracosme est un univers intérieur imaginaire, souvent façonné dans l’enfance, qui se déploie comme une réponse psychologique complexe face aux blessures du réel. Doté de sa propre géographie, de codes, d’une histoire et de personnages uniques, et parfois même d’une langue inventée, c’est un refuge, une frontière floue entre l’ici et l’ailleurs, un lieu où le passé traumatique peut être déconstruit et réinterprété, tout en offrant une échappatoire à un futur incertain.

Dans sa nature liminale, le paracosme défie les dualités. Ni entièrement tangible ni complètement éthéré, il s’inscrit dans une zone d’entre-deux, un entrelacs d’expériences vécues et de narrations inventées. L’imaginaire, dans ce contexte, n’est pas simplement une évasion. C’est une forme de résilience. Face aux difficultés de la vie, le paracosme permet de réorganiser des souvenirs fragmentés, de leur donner une cohérence nouvelle ou même de les dissoudre dans des paysages fictifs. Il devient un espace d’expérimentation, où les douleurs du passé peuvent être remodelées, sublimées, voire transcendées.

corne et fumée

L’Islande, avec ses forces géologiques impressionnantes — éruptions volcaniques, glaciers et activité tectonique incessante —, offre un décor saisissant, propice à l’imagination et à la création. Isabel Spantzel y trouve un terrain idéal pour donner corps à son projet artistique. Roches, plages de sable noir et plaines balayées par les vents deviennent les scènes d’une narration silencieuse où le visible et l’invisible s’entrelacent.

S’inspirant librement du folklore islandais et de ses recherches à la Bibliothèque nationale et universitaire d’Islande, Isabel explore les échos des créatures mythiques qui peuplent les récits anciens. Des êtres invisibles vivants dans les rochers et collines aux géants des montagnes, ces figures nourrissent un imaginaire personnel plutôt qu’une appropriation directe, devenant des points de départ pour une œuvre qui interroge la manière dont l’humanité tente de représenter ce qui dépasse la perception. Chaque cliché est imprégné de cette tension subtile entre le réel et l’imaginaire.

Pour la photographe, ce voyage dépasse la simple quête de panoramas spectaculaires. À travers son objectif elle ne se contente pas de capturer la réalité des vastes étendues islandaises, mais présente des paysages de l’âme.

jambes dans l'eau
corps et algue

Capturer l’invisible

Le processus d’Isabel Spantzel prend constamment en compte l’invisible au sein de l’image capturée ou créée. Elles capturent des émotions profondes, une impression d’étrangeté familière qui invite le spectateur à se confronter à ses propres paysages intérieurs. Empreintes de sérénité et de mystère, ses images ne cherchent pas à être décryptées, mais ressenties. À travers son travail, la photographe cherche à dévoiler cette couche cachée, invitant le spectateur non seulement à observer, mais aussi à contempler et explorer ce que signifie véritablement ‘voir’.

Ces interrogations soulèvent des questions essentielles : comment saisir ce qui échappe à la représentation ? Que se cache-t-il à la frontière de notre perception ? De la photographie spiritualiste à la fin du 19e siècle jusqu’aux récentes images d’un trou noir par Katie Bouman, la photographie a été vue comme un ‘moyen d’atteindre l’invisible’. Dans son travail, Spantzel s’intéresse à la manière dont les limites intrinsèques de la photographie – sa capacité à ne pas tout saisir ou représenter – peuvent en fait être une source de révélation. Comme disant le philosophe Roland Barthes, qui soutient que “pour voir une photographie comme il se doit, il vaut mieux détourner le regard ou fermer les yeux”, elle propose d’aborder la photographie d’une manière qui va au-delà de la simple vision.

oeil de cheval

Un art contemplatif à l’ère de l’instantanéité

Dans un monde dominé par la rapidité et l’immédiat, le travail d’Isabel Spantzel offre une respiration, une pause contemplative. Ses œuvres révèlent une Islande qui est autant un lieu physique qu’un espace mental; autant une expérience sensorielle et introspective que visuelle.

Ainsi, le paracosme devient non seulement un miroir, mais aussi un atelier. C’est un endroit où l’on peut déconstruire pour reconstruire, rêver pour mieux comprendre, imaginer pour guérir. Dans cette oscillation constante entre deux mondes, il ouvre une brèche vers l’infini, là où l’impossible devient une possibilité nouvelle.

foret et branches
roches
roche bleue
eau qui rentre par une porte
roche et foin

Plus d’information sur Isabel Spantzel sur son compte Instagram. Et plus de découvertes photographiques sur Beware Magazine : Miroir, Mémoire : Auriane Kolodziej emprisonne son reflet à l’épreuve du temps.