À qui profite le Dry January ?

À peine les festivités de fin d’année derrière nous, et alors qu’une nouvelle s’amorce, un débat a désormais toute sa place à côté du choix de la traditionnelle galette des rois (frangipane ou royaume ?) : le Dry January. Depuis … Continuer la lecture → The post À qui profite le Dry January ? first appeared on La Réclame.

Jan 19, 2025 - 22:45
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À qui profite le Dry January ?

À peine les festivités de fin d’année derrière nous, et alors qu’une nouvelle s’amorce, un débat a désormais toute sa place à côté du choix de la traditionnelle galette des rois (frangipane ou royaume ?) : le Dry January. Depuis quelques années, ses partisans se font entendre ce qui n’est pas du gout de certains défenseurs de la filière viticole française, pour qui ils mettraient en péril une partie de notre patrimoine. 

Selon l’étude CSA pour Maison Chavin, en 2024, ce sont 10 millions de Français qui auraient participé au Dry January et cette année, un quart des Français envisageraient d’y participer (étude Ifop pour Freixenet Gratien), comme le nouveau ministre de la Santé qui assure le faire “chaque année”

Dans un contexte où la consommation d’alcool en France diminue de 1 à 2 % chaque année depuis les années 60 – voire 3 à 5 % ces trois dernières années (source OFDT novembre 2024) – cette tendance pousse à repenser les pratiques et les modèles économiques. Avec près de 78 % des adultes respectant désormais les repères de consommation responsable (2 verres par jour maximum, pas tous les jours), la filière viticole et spiritueux doit s’adapter.

Laurence Cottet, fondatrice du mouvement “Janvier Sobre”, milite pour une approche pédagogique et bienveillante, tandis que Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération Française des Spiritueux, voit dans cette évolution une opportunité pour valoriser des produits haut de gamme et ancrés dans le terroir. Si les deux s’accordent sur l’importance d’une consommation raisonnée, leurs visions divergent : défi ponctuel ou transformation durable ?

Entre des campagnes de sensibilisation virales (mais sans soutien du gouvernement), une baisse continue des consommations excessives (API – alcoolisation intensive ponctuelle), néanmoins toujours notables chez les jeunes, et l’essor du marché No-Lo (No alcohol-Low alcohol), où se situe l’équilibre entre santé publique, plaisir et économie ? Ce clash d’idées met en lumière les enjeux culturels et économiques d’un phénomène qui dépasse largement un mois sans alcool.

Pour

Laurence Cottet, ancienne alcoolique rétablie, aujourd’hui patiente-experte en addictologie et à l’origine du mouvement « Janvier sobre » en France, est une militante engagée pour une consommation d’alcool responsable et une prévention bienveillante à travers l’éducation et la pédagogie.

Avec des moyens limités face aux budgets marketing des alcooliers, comment réussissez-vous à faire du Dry January un mouvement viral qui attire chaque année plus de participants ?

Laurence Cottet : Le Janvier sobre est né d’une initiative personnelle après avoir entendu parler du Dry January à la radio. En 2019, j’ai tout simplement pris les choses en main parce que personne ne voulait bouger. J’ai fait des démarches partout : auprès des fédérations d’alcoologie – elles sont nombreuses –, auprès des alcooliers, auprès de l’État. Mais personne ne voulait s’entendre ni mettre en place quelque chose. Alors, j’ai décidé de le faire toute seule.

Ça a démarré doucement, chez moi, dans la Drôme, avec le soutien des médias locaux et surtout grâce aux réseaux sociaux. Et petit à petit, ça a pris de l’ampleur. C’est comme ça qu’est né le Janvier sobre. Pas de gros budgets, pas de soutien de l’État – au contraire, il y a même eu des blocages –, mais ça ne m’a pas arrêtée.

J’ai aussi tenu à ce qu’on parle de « sobre » et non de « sec » (“dry” en VO). Sobre, c’est un adjectif qui signifie « boire peu de boissons alcoolisées ». Et ça, c’est important. En tant qu’ancienne alcoolique, je sais à quel point il peut être violent d’entendre « zéro alcool » d’un coup. Le janvier sobre laisse à chacun la liberté de fixer son objectif : ne pas boire du tout, ou simplement réduire. Par exemple, on peut éviter l’alcool en semaine, mais se garder un verre le week-end. Ce qui compte, c’est de réfléchir à sa relation à l’alcool et de s’interroger.

Aujourd’hui, ce sont les médias, comme vous, qui nous permettent de continuer. Je fais aussi des conférences, je vais à la rencontre des associations, des centres d’addictologie, des médecins. Et franchement, ça marche. Sans l’État, sans gros moyens, mais avec beaucoup de pédagogie et de bienveillance.

Comment expliquez-vous que la France soit l’un des rares pays où les pouvoirs publics ne soutiennent pas officiellement le Dry January, contrairement au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas ?

L.C. : C’est une question politique, et franchement, ça me dépasse. Ce n’est pas mon sujet. Moi, je suis là pour parler de prévention et d’éducation, pas pour entrer dans des débats politiques. Dans mon cas, ce qui m’a manqué, c’est une vraie éducation sur l’alcool : à l’école, au collège, au lycée, personne ne m’a jamais expliqué ce qu’est une consommation responsable. À 15-16 ans, je buvais déjà beaucoup, parce que, pour moi, l’alcool, c’était festif, et personne ne me disait rien. À l’époque, il n’existait pas de campagnes comme aujourd’hui.

Ce manque d’information m’a marquée, et c’est pourquoi j’ai mis tout mon temps et mon énergie dans le Janvier sobre. Je suis bénévole, à la retraite, et ce que je fais, c’est une contribution personnelle pour une prévention efficace contre l’alcoolisme. Par ailleurs, certaines filières commencent à comprendre que je ne suis pas là pour interdire, mais pour encourager une consommation responsable, en invitant à « boire moins, mais mieux. » 

En France, notre histoire et nos traditions autour de l’alcool compliquent peut-être le soutien public à des campagnes comme le Janvier sobre, mais cela ne m’empêche pas de continuer. Et ça fonctionne, car les gens veulent vivre plus longtemps et en meilleure santé.

Quel est l’impact du Dry january sur la santé publique en France ? Avez-vous des statistiques à partager ?

L.C. : Il existe des chiffres avancés par certaines fédérations ou études, mais honnêtement, je reste sceptique. On parle parfois de millions de participants, mais ces données incluent souvent des personnes déjà abstinentes par obligation, comme les anciens alcooliques, ce qui fausse complètement les résultats.

Sur le terrain, je constate une réalité différente. Ceux qui s’engagent dans le Janvier sobre ressentent des bénéfices concrets : un meilleur sommeil, plus d’énergie, des économies, une perte de poids… et surtout une fierté d’avoir atteint leur objectif. Ces effets positifs les encouragent souvent à poursuivre de bonnes habitudes au-delà du mois de janvier. Mais de là à dire que cela a un impact mesurable sur la santé publique dans son ensemble ? Nous n’avons pas encore assez de recul pour l’affirmer. Les quantités d’alcool vendues et consommées ont également baissé du fait de la crise du pouvoir d’achat.

Je préfère m’appuyer sur les retours individuels. Beaucoup de participants découvrent ce qu’est une consommation responsable et apprennent à mieux gérer leur rapport à l’alcool. C’est une première étape importante. En revanche, les statistiques globales sur le Dry January sont souvent biaisées, et je préfère être honnête : je ne veux pas donner de chiffres qui ne reflètent pas la réalité.

Ce qui est certain, c’est que cette campagne fait parler d’alcool autrement, et cela contribue à sensibiliser un public de plus en plus large. Le simple fait que des discussions s’ouvrent sur le sujet est déjà un succès en soi.

Le Dry January est parfois critiqué comme étant trop radical et culpabilisant. En quoi un mois d’abstinence totale est-il plus efficace qu’une simple modération toute l’année ?

L.C. : Personnellement, je plaide pour la modération toute l’année. Quand j’ai lancé le concept du Janvier sobre, c’était dans cette idée. Mon objectif était de faire connaître les repères de consommation à moindre risque – deux verres par jour, pas tous les jours, avec deux jours sans alcool par semaine. C’est fou, mais quand je parle de ces repères aux gens, beaucoup n’en ont jamais entendu parler. C’est pour ça que j’ai voulu créer une opération pédagogique qui laisse à chacun la liberté de se fixer son propre objectif.

Plutôt que d’imposer une abstinence totale, je préfère qu’on apprenne à gérer sa consommation et qu’on applique ces bonnes pratiques tout au long de l’année, voire toute sa vie. Le concept du Janvier sec, lui, vient d’Angleterre, où les habitudes de consommation sont très différentes. Là-bas, les gens ont tendance à boire de façon excessive en fin de semaine, tandis qu’en France, on est plus sur une consommation quotidienne. Dans notre cas, il est plus pertinent d’encourager une consommation modérée et réfléchie.

Un mois d’abstinence totale peut donner l’impression d’un défi, mais cela ne fonctionne pas si on reprend ses mauvaises habitudes ensuite. C’est pourquoi je respecte toutes les initiatives – Janvier sec, Janvier sobre, ou même le « Janvier humide » où l’on privilégie l’eau – tant qu’elles permettent de réfléchir à sa consommation. Mais selon moi, ce qui fonctionne vraiment, c’est de sensibiliser les gens à une consommation responsable et durable, sans culpabilisation ni radicalité.

Contre (?)

Thomas Gauthier, directeur général de la Fédération Française des Spiritueux, représente et défend les intérêts de l’industrie des spiritueux en France, tout en promouvant une consommation responsable.

Une campagne comme le Dry January représente-t-elle selon vous une menace pour la filière viticole et les spiritueux ?

Thomas Gauthier : Le Dry January ne constitue pas une menace particulière pour notre filière. Il s’inscrit dans une tendance sociétale plus large de réduction de la consommation d’alcool, observable depuis les années 60, avec une baisse continue de 1 à 2 % par an pour l’ensemble des produits alcoolisés, et même davantage ces dernières années en raison de l’inflation. Cette évolution reflète des pratiques de consommation plus responsables et modérées, ce qui est une bonne chose pour la santé publique.

Cependant, ce qui nous importe, c’est de promouvoir une consommation responsable toute l’année, pas seulement en janvier ou à travers des initiatives ponctuelles. L’objectif est d’éviter les comportements « stop and go » – des excès pendant les fêtes suivis d’une abstinence temporaire pour compenser. La modération doit devenir un réflexe, que ce soit pendant les fêtes, les soirées entre amis, ou dans des contextes spécifiques comme la conduite ou la grossesse.

Des campagnes comme le Dry January ou d’autres initiatives similaires, comme le « Sober October » ou même le carême, sont positives si elles encouragent la réflexion sur sa consommation. En tant que filière, nous soutenons ces efforts à travers des actions comme celles de notre association Prévention et Modération, qui promeut les bonnes pratiques et sensibilise aux enjeux du zéro alcool dans les contextes appropriés.

Certains groupes lancent des cocktails et spiritueux sans alcool. N’est-ce pas paradoxal de critiquer le Dry January tout en surfant sur la tendance ‘No-Lo‘ (No alcohol-Low alcohol) ?

T.G. : Il n’y a pas de paradoxe, car ces deux démarches s’inscrivent dans la même tendance sociétale : une consommation plus modérée et réfléchie. Selon une étude de l’agence So Wine, les principales motivations pour consommer des produits No-Lo sont de boire moins d’alcool (52 %), de faire attention à sa santé (41 %) et une préférence pour le goût (41%). Ces produits répondent donc à une demande de consommateurs qui boivent déjà de l’alcool, mais souhaitent des alternatives pour réduire leur consommation, et non à un objectif de convertir des abstinents à l’univers de l’alcool.

Dans le secteur des spiritueux, le segment sans alcool reste encore très limité. En 2023-2024, il représentait seulement 0,6 % de la valeur totale du marché des spiritueux, en légère progression par rapport à 2022-2023 (0,5 %). À titre de comparaison, dans la bière, le sans-alcool atteint environ 10 % des volumes, ce qui montre que ce marché est plus avancé dans cette catégorie. Pour les spiritueux, l’offre est encore en développement, mais elle se diversifie et gagne en innovation.

Quant à savoir si cette offre No-Lo relève d’une stratégie purement commerciale, c’est évidemment une réponse à une demande existante. Toutes les innovations dans le secteur visent à répondre aux attentes des consommateurs. Le No-Lo semble être une tendance durable, même si sa maturité et son impact global restent encore à déterminer.

Comment accompagner une tendance qui dépasse largement le Dry January : décennie après décennie, les Français boivent moins, nous sommes passés de générations qui buvaient du vin à la cantine, à son interdiction, le pichet pendant le repas, même au travail à des modes de vie plus sains.

T.G. : Pour accompagner cette tendance, il faut s’inscrire dans une logique de valeur, « consommer moins, mais mieux ». Elle touche aujourd’hui toutes les catégories (les fameux flexitariens, NDLR), y compris les spiritueux. Cela implique de proposer des produits qui se démarquent par leur qualité, leur histoire et leur ancrage territorial.

Prenons l’exemple de la menthe pastille de Giffard, qui a créé une mini-filière en développant une variété spécifique de menthe en partenariat avec des agriculteurs locaux. Ce type d’initiative illustre parfaitement l’attrait des consommateurs pour des produits qui valorisent un terroir, une recette travaillée et un savoir-faire artisanal.

Dans les spiritueux, cette recherche de valeur passe également par l’innovation en mixologie, le travail sur le vieillissement des produits et l’élaboration de saveurs uniques grâce à des procédés comme l’utilisation de fûts spécifiques. Ces efforts permettent de créer des produits riches, avec une identité forte, qui se positionnent au-delà des simples biens de grande consommation.

Aujourd’hui, boire de l’alcool n’est plus une habitude mécanique ou quotidienne. C’est devenu une expérience. Les consommateurs prennent le temps de choisir, de découvrir l’histoire d’un produit, de déguster et d’apprécier. Ils veulent comprendre comment un produit a été fabriqué, par qui, et avec quelles intentions. Cette quête de sens et de qualité redéfinit la relation des Français à l’alcool, en phase avec des modes de vie plus sains et réfléchis.

L’avenir n’est pas dans le volume, mais dans la valeur, en offrant des produits qui interpellent, créent des expériences, et s’intègrent dans une consommation modérée et consciente.

Verdict

Le Dry January ou Janvier Sobre ne serait-il finalement qu’un faux débat masquant une évolution sociétale profonde ? 

Au-delà des positions clivantes et des réactions épidermiques de certains élus ou chroniqueurs dénonçant une « mode anglo-saxonne », le Dry January cristallise en réalité une transformation progressive et durable des habitudes de consommation d’alcool en France. Les deux intervenants, bien que représentant des positions a priori opposées, partagent une vision commune : celle d’une consommation plus réfléchie et responsable.

Tandis que Laurence Cottet prône une approche pédagogique et non-culpabilisante à travers son « Janvier sobre », Thomas Gauthier reconnaît la nécessité pour la filière de s’adapter en misant sur la qualité plutôt que la quantité – « boire moins, mais mieux ». Cette convergence des points de vue reflète une tendance de fond, illustrée par la baisse continue de la consommation d’alcool depuis les années 60, qui va bien au-delà d’un simple défi mensuel. Dans le même temps, le nombre des hospitalisations, en lien avec l’alcool, croît, et les addictions, chez les jeunes notamment, se déplacent vers d’autres substances (cocaïne à des niveaux record, drogues de synthèse).

Le véritable enjeu n’est donc pas tant le Dry January en lui-même que l’accompagnement de cette mutation sociétale vers des pratiques plus saines, conciliant tradition française et aspirations contemporaines.

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