1964 : l’année ou Bob Dylan a envoyé balader la musique folk

Avec « Un parfait inconnu », le biopic où Timothée Chalamet incarne Bob Dylan, la lumière revient sur les débuts du musicien. Comment est-il devenu une légende mondiale de la musique ?

Jan 27, 2025 - 19:15
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1964 : l’année ou Bob Dylan a envoyé balader la musique folk

Le biopic sur Bob Dylan Un parfait inconnu, avec Timothée Chalamet, se concentre sur la trajectoire de Dylan au début des années 1960. Très tôt, l’artiste a défié les attentes de ses fans et rejeté les conventions imposées par l’industrie. Comment ce jeune chanteur folk au style unique est-il parvenu à se réinventer et à devenir une figure incontournable de la scène musicale internationale ?


En tant qu’historien de la musique, j’ai toujours respecté une décision de Dylan en particulier, celle qui a donné le coup d’envoi à la période la plus turbulente et la plus importante de l’activité créatrice du jeune artiste.

Il y a soixante ans, le soir d’Halloween 1964, un jeune Dylan de 23 ans montait sur la scène de la Philarmonie de New York. Il était devenu une star dans un genre de niche : la musique folk revivaliste. Mais dès 1964, Dylan s’est constitué un public beaucoup plus large en interprétant et en enregistrant ses propres chansons.

Concert poster reading « Bob Dylan at Philharmonic Hall. »
GAB Archive/Redferns via Getty Images

Dylan a joué un concert en solo, mélangeant des morceaux qu’il avait déjà enregistrés et de nouvelles chansons. Des représentants de sa maison de disques, Columbia Records, étaient présents pour enregistrer le concert, avec l’intention d’en faire le cinquième album officiel de Dylan.

Ce disque aurait été le successeur logique des quatre précédents albums de Dylan chez Columbia. À l’exception d’un titre, « Corrina, Corrina », ces albums, pris dans leur ensemble, présentaient exclusivement des performances acoustiques en solo.

Mais à la fin de l’année 1964, Columbia a mis de côté l’enregistrement du concert au Philharmonic Hall. Dylan avait décidé qu’il voulait faire un autre type de musique.

Du Minnesota à Manhattan

Deux ans et demi plus tôt, Dylan, qui n’avait alors que 20 ans, avait commencé à être reconnu et acclamé par la communauté folk de New York. À l’époque le renouveau de la musique folk avait lieu dans de nombreuses villes du pays, mais Greenwich Village, à Manhattan, était le cœur battant du mouvement.

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Se mêlant à d’autres musiciens folk et s’inspirant d’eux, Dylan, qui venait de quitter le Minnesota pour s’installer à Manhattan, obtient son premier concert au Gerde’s Folk City le 11 avril 1961. Dylan se produit dans divers autres clubs de musique de Greenwich Village, interprétant des chansons folk, des ballades et du blues. Il aspire à devenir, comme son héros Woody Guthrie, un artiste autonome, capable d’utiliser la voix, la guitare et l’harmonica pour interpréter l’héritage musical de « la vieille et étrange Amérique » – un adage inventé par le critique Greil Marcus pour décrire le premier répertoire de Dylan, composé de musique d’avant-guerre.

Si les reprises de Dylan étaient indéniablement envoûtantes, il reconnaîtra que certains de ses pairs de la scène folk du début des années 1960 – en particulier Mike Seeger – étaient meilleurs pour reproduire les styles instrumentaux et vocaux traditionnels.

Dylan, cependant, se rend compte qu’il a une facilité exceptionnelle pour écrire et interpréter des chansons inédites.

En octobre 1961, John Hammond, découvreur de talents chevronné, fait signer à Dylan un contrat d’enregistrement pour Columbia. Son premier album éponyme, sorti en mars 1962, présente des interprétations de ballades et de blues traditionnels, avec seulement deux compositions originales. Cet album ne se vend qu’à 5 000 exemplaires, ce qui conduit certains responsables de Columbia à qualifier le contrat de Dylan de « folie de Hammond ».

En avant toute

Renversant la formule, l’album suivant en 1963, The Freewheelin’ Bob Dylan, propose 11 compositions originales de Dylan et seulement deux chansons traditionnelles. L’album comprend des chansons sur les relations amoureuses comme des chansons militantes, dont sa fameuse « Blowin’ in the Wind ».

The Times They Are A-Changin’, son troisième album, présente exclusivement les compositions de Dylan.

La créativité de Dylan se poursuit. Comme il en témoigne dans « Restless Farewell », le morceau de clôture de The Times They Are A-Changin’, « My feet are now fast/and point away from the past » (Mes pieds sont maintenant rapides/et s’éloignent du passé).

Sorti six mois seulement après The Times, le quatrième album Columbia de Dylan, Another Side of Bob Dylan, présente des enregistrements acoustiques en solo de chansons originales dont les paroles sont aventureuses et moins axées sur l’actualité. Comme le suggère sa chanson « My Back Pages », il rejette désormais l’idée qu’il pourrait – ou devrait – parler au nom de sa génération.

La synthèse

À la fin de l’année 1964, Dylan aspire à s’affranchir définitivement des contraintes du genre folk – et de la notion de « genre » tout court. Il veut subvertir les attentes du public et se rebeller contre les forces de l’industrie musicale qui veulent le cataloguer, lui et son œuvre.

Le concert au Philharmonic Hall se déroule sans problème, mais Dylan refuse que Columbia en fasse un album. Il faudra attendre quarante ans pour que l’enregistrement fasse l’objet d’une sortie officielle.

À la place, en janvier 1965, Dylan entre au Studio A de Columbia pour enregistrer son cinquième album, Bringing It All Back Home. Mais cette fois, il adopte le son rock électrique qui a galvanisé l’Amérique dans le sillage de la Beatlemania. Cet album présente des chansons dont les paroles sont inspirées par un flot de pensées désorganisé, avec une imagerie surréaliste, et sur de nombreuses chansons, Dylan se produit avec l’accompagnement d’un groupe de rock.

Young man places a guitar with a harmonica hanging from his neck
Dylan joue d’une basse jazz Fender, lors de l’enregistrement de « Bringing It All Back Home », au studio A de Columbia, à New York en janvier 1965. Michael Ochs Archives/Getty Images

Sorti en mars 1965, Bringing It All Back Home donne le ton aux deux albums suivants de Dylan : Highway 61 Revisited, en août 1965, et Blonde on Blonde, en juin 1966. Ces trois derniers disques, vibrant de ce que Dylan appelait un « son de mercure fin et sauvage », sont parmi les plus grands albums de l’histoire du rock pour de nombreux critiques.

Le 25 juillet 1965, au Newport Folk Festival, Dylan invite sur scène des membres du Paul Butterfield Blues Band pour accompagner trois chansons. A cette époque, une instrumentation acoustique est attendue en matière de musique folk : le public n’est pas préparé aux performances tonitruantes de Dylan. Certains critiques considèrent ce set comme un acte d’hérésie, un affront à la tradition de la musique folk. L’année suivante, lors d’une tournée au Royaume-Uni, à Manchester, Dylan se fait même traiter de « Judas » par un spectateur pour avoir abandonné la musique folk.

Pourtant, les risques créatifs pris par Dylan pendant cette période ont inspiré d’innombrables autres musiciens : des groupes de rock tels que les Beatles, les Animals et les Byrds ; des groupes de pop tels que Stevie Wonder, Johnny Rivers et Sonny and Cher ; et des chanteurs de country tels que Johnny Cash.

Reconnaissant combien Dylan avait mis la barre haute en matière d’écriture, Cash a écrit dans ses notes sur l’album de Dylan « Nashville Skyline » (1969) : « Sacré poète ».

Inspirés par l’exemple de Dylan, de nombreux musiciens ont ensuite expérimenté leur propre son et leur propre style, tandis que des artistes de tous les genres ont rendu hommage à Dylan en réinterprétant ses chansons.

En 2016, Dylan a reçu le prix Nobel de littérature « pour avoir créé de nouvelles expressions poétiques dans la grande tradition de la chanson américaine ». Son exploration précoce de cette tradition s’entend sur ses quatre premiers albums Columbia – des disques qui ont jeté les bases de l’auguste carrière de Dylan.

En 1964, Dylan était la vedette de Greenwich Village.

Aujourd’hui, parce qu’il ne s’est jamais reposé sur ses lauriers, il est une star pour le monde entier.


The Conversation

Ted Olson ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.